par FlatFab » Lun 21 Juil 2014 14:25
Le soi-disant "esprit motard", la solidarité, l'entraide... c'est une chose.
Il a en effet pas mal évolué avec la démocratisation du deux-roues et l'avènement du téléphone portable, on en a parlé il y a huit jours avec Christian "Crickey" justement.
Mais le post initial porte sur le salut, essayons de rester dans le sujet.
Effectivement, le salut entre motards est assez répandu, mais pas généralisé.
Quand on interroge les motards, à peu près tous vous diront bien sûr qu'ils saluent tout le monde, la preuve sur ce topic. tout le monde veut avoir l'air sympa.
Or dans les faits, c'est nettement moins le cas. Pourquoi ?
En fait, il y a plein de "biais", de raisons qui peuvent faire que "ben non, lui je le salue pas !" ou qu'on n'a pas vu le salut.
1. Le contexte
Y a des fois, on a mieux à faire. Ou tout simplement, on n'a pas vu l'autre moto. Ou trop tard.
Quand on est dans une situation un peu délicate (pour soi, elle ne l'est peut-être pas pour d'autres), on n'a pas forcément envie de lâcher une main du guidon. Et on est souvent concentré sur ce qu'on fait, pas sur les bécanes en sens inverse.
Bon, c'est aussi parfois (souvent ?) de la distraction, de l'inattention, on a la tête ailleurs...
Perso, quand je me rends compte au dernier moment que je n'ai pas vu une moto arriver, ça m'alerte, cela veut dire que je ne suis pas assez vigilant.
2. L'environnement
Clairement, autant c'est facile de se saluer en se croisant sur une petite route de campagne déserte, autant dans Paris à l'heure de pointe...
Le nombre de 2RM joue : quand tu en croises 50 à la minute, tu ne vas pas passer ton temps à faire coucou ! En plus, dans ces moments-là, mieux vaut ne pas trop lâcher son guidon. Idem dans les grands rassemblements motards.
De façon générale, plus on croise de 2RM, moins on les salue.
Le type d'infrastructure joue : certains motards ne saluent pas ceux en sens inverse sur les voies rapides.
D'une part, la présence de la rambarde centrale gêne parfois la visibilité : on voit bien les motos sur la voie de gauche en face, pas toujours celles sur la voie de droite. D'autre part, la vitesse élevée dissuade certains de lâcher le guidon.
Même sur route, il arrive parfois que je ne vois pas (ou au tout dernier moment) une moto qui arrive en face, notamment parce que celle-ci est entre deux voitures (ou camions) et suit de très près, beaucoup trop près, le véhicule précédent, qui du coup la masque complètement. Et là, je me dis "si la voiture freine un peu fort..."
C'est d'ailleurs un indice : si vous suivez un véhicule et ne voyez un motard venant en face qu'au dernier moment, cela veut dire que vous roulez trop près et/ou pas assez décalé à gauche.
3. Le type de salut
Souvent, je croise des motards qui me saluent en levant simplement un ou deux doigts gantés de noir sur fond de poignée de guidon noire et de blouson noir... A 90-100 km/h, je peux vous dire qu'il vaut mieux avoir une très bonne vue pour distinguer quoi que ce soit !
Pour ma part, avec les grands pare-mains, je suis obligé de sortir toute la main, donc ça se voit assez bien quand je salue.
Mais les habitudes de salut varient selon chacun. Les Allemands lèvent juste un doigt, c'est à peine perceptible. Parmi les motards français, certains lèvent toute la main, d'autres lèvent deux doigts en V, d'autres deux doigts joints, d'autres lèvent le doigt mais sans lâcher le guidon...
Et il n'y a pas que la main !
Certains préfèrent ne pas lâcher le guidon et tendre la jambe pour saluer, à gauche ou à droite selon les cas.
Et d'autres préfèrent un signe de tête.
Du coup, il est possible que vous fixiez la main du motard d'en face en attendant une réponse et ne voyiez pas le signe de tête (parfois pas très visible, en plus) qu'il vous adresse en retour de votre main tendue bien haut...
4. Le type de machine
Certains décident de ne saluer que les motards qui roulent sur plus ou moins la même moto qu'eux : même modèle, même marque, même genre... Bientôt, ils ne salueront que les motos du même millésime avec le même coloris que la leur.
C'est du sectarisme pur et simple, le choix de mépriser (souvent pour se rassurer) ceux qui n'ont pas fait le même choix.
A Paris, avec ma GS Adventure, il m'est arrivé de me faire snober par d'autres BMistes, arrêtés juste à côté de moi au feu rouge et qui refusaient ne serait-ce que de me regarder, parce que je ne roulais pas en RT comme eux.
Ceux-là sont irrécupérables, et sans regrets...
De la même manière, d'autres choisissent de ne saluer que les "vrais" motards. C'est-à-dire ceux qui sont comme eux, en fait. Les autres étant des "faux", des "pas comme moi", des "pas de chez nous", bien sûr...
Alors, certains estiment que les 50 ne sont pas de vraies motos. D'autres que les 125 ne sont pas de vraies motos. D'autres que les moins de 500 ne sont pas de vraies motos. D'autres que seuls les plus de 1000 sont de vrais gros cubes.
Bref, plus j'en ai une grosse, plus je me rassure sur la taille de mon kiki en faisant mine de croire que les plus "petits" que moi ne sont pas des vrais.
A ce compte-là, les possesseurs de Triumph Rocket III ne doivent pas saluer grand-monde...
5. Le type de conducteur
Certains estiment que seuls les détenteurs d'un permis A sont de "vrais" motards.
Allez, certains sont sympa et incluent les permis A2, qui roulent quand même sur des motos gros cubes, même bridés (ou censés l'être).
Pourtant, les détenteurs du permis A1 (125) ont passé et réussi les mêmes épreuves, les mêmes examens. Certes, ils sont peu nombreux, mais comment faire la différence avec l'immense majorité qui a juste suivi (et encore) sept heures de formation ?
Devient-on un "vrai" motard quand on décroche le permis A ? Zut, du coup, ça voudrait dire que les trois quarts des pilotes de compétition moto ne sont pas de "vrais" motards...
Certains choisissent de ne saluer que les motos et pas les scooters.
De toute façon, 99% des scooters ne répondent pas au salut motard, ils ne savent même pas ce que c'est.
Pour ma part, lassé comme beaucoup de me prendre des "vents" systématiques, je ne salue les scooters qu'en réponse à un salut de leur part. Mais là encore, tout dépend du contexte : quand je crois un scooter en balade le week-end, avec un conducteur ou un couple bien équipé, qui a visiblement un usage "loisir" du scoot' et non purement utilitaire, je n'hésite pas à le saluer en premier.
D'autres estiment que seul un bon motard est digne de leur salut et qu'un bon motard est forcément un motard équipé, de préférence bien équipé. Et là, où met-on le curseur ?
De plus, autant c'est facile à évaluer quand on est dans le même sens de circulation, autant il est presque impossible de voir à l'avance comment est équipé le motard qui va vous croiser en sens inverse.
Personnellement, je suis un intégriste de l'équipement de protection et il m'arrive parfois de refuser délibérément de saluer des motards que j'estime franchement mal équipés.
Hier encore, j'ai remonté un groupe de deux motards. J'ai salué le premier, en trike, bien équipé. J'ai refusé de saluer le second, en FJR 1300, qui n'avait que le casque : tennis, jeans, t-shirt, mains nues... Pour moi, désolé, c'est pas un motard, c'est un rigolo sur une moto.
Le mois dernier, pendant de fortes chaleurs ici en Aquitaine, deux motos BMW me remontent dans la banlieue bordelaise, en route vers Arcachon.
Un K1600GT et un R1150RT, deux couples dans la cinquantaine, juste le casque : t-shirt et chemisette pour les messieurs, débardeur pour ces dames, pantacourts, mocassins et même sandales pour les dames.
Ils m'ont dépassé, je n'ai pas fait un mouvement. Je crois qu'ils ne m'ont pas salué, de toute façon.
Par contre, j'ai salué la moto qui suivait à 50 m derrière, une japonaise avec un couple en jeans, blouson et gants. Et là, le motard a bien rigolé, il m'a répondu, a levé un grand pouce en l'air et a désigné les deux BM de devant en secouant la tête. Lui a bien compris mon message.
Je sais bien que cela ne sert pas à grand-chose.
Le motard mal équipé ne va pas se remettre en question parce que certains ne le saluent pas. Mais bon, tant pis, c'est ma façon à moi de marquer que je ne me reconnais pas comme faisant partie de la même communauté que ces charlots du guidon.
Du coup, il m'arrive parfois de saluer des kékés qui arrivent en face et de m'apercevoir qu'ils ne portent pas de gants en voyant leur main nue me répondre. Dommage, je ne peux pas "reprendre" mon salut...
Finalement, pourquoi salue-t-on ?
Est-ce en espérant une réponse ?
Ou en fait, n'est-ce pas le salut lui-même qui compte, que l'autre nous réponde ou pas ?
"L'homme sage est celui qui connaît ses limites" (c) Clint Eastwood, alias "Dirty" Harry Callahan, in "Magnum Force" (1973)