Essai (pré-série) par Le Repaire des Motards.
Essai KTM 890 Duke R
par Alan Cathcart | 10.01.2020
Twin démoniaque
Twin parallèle de 890 cm3, 121 ch, 99 Nm, 166 kg à sec, 11.900 euros
KTM a connu un succès retentissant avec la 790 Duke, son tout premier modèle à bicylindre parallèle lancé il y a deux ans et propulsé par le moteur LC8c (pour Liquid Cooled - 8 soupapes - Compact). Surnommé The Scalpel pour son design ciselé et son poids réduit au minimum, elle a permis au constructeur européen de se doter d'une concurrent de taille sur le marché des moyennes cylindrées. Une arrivée qui s'est transformée en best-seller grâce à un prix concurrentiel et un vrai plaisir de conduite. Avec son style ultra distinctif aux angles acéré designé par Kiska Design, la 790 Duke est venue combler le fossé entre le mono 690 Duke et le V-twin 1290 Super Duke R. Cela a aussi permis à la marque de franchir un nouveau palier en terme de sophistication électronique sur le segment des moyennes cylindrées en la dotant de fonctionnalités que certaines sportives japonaises d'un litre n'ont pas.
KTM va aujourd'hui plus loin avec la 890 Duke R, présentée au dernier salon EICMA de Milan. Plus légère, plus puissante et encore plus déterminée que sa petite soeur, elle vise clairement le haut du segment en termes de performances et de maniabilité, tout en restant à un prix "abordable". Si elle s'affiche malgré tout à 11.900 euros, la 890 ne représente finalement "que" 2000 euros de plus par rapport à sa petite soeur. Mais ces 100 cm3 marquent une grosse évolution.
Le projet de la 890 date en réalité de 2012, lorsque les ingénieurs KTM ont commencé à travailler sur le bicylindre parallèle LC8C, comme le confie Adriaan Sinke, en charge du développement produit :
Nous avons toujours eu l'intention de développer une 790 Duke R. Mais pendant le programme de développement nous sommes arrivé à un point où nous n'étions pas heureux de notre prototype, il n'était pas assez R, pas assez KTM. Nous avons donc décidé de produire seulement la 790 Duke pour commencer et ensuite de s'attaquer à la R en faisant ce que nous pensions être une KTM Duke R, si nécessaire avec un plus gros moteur. Pour faire simple on a déchirer la fiche technique et on est retourné à la planche à dessin pour déterminer jusqu'où on pouvais aller avec ce moteur et ce châssis. La 890 Duker R en est le résultat.
Et quel résultat ! Grâce à l'augmentation de l'alésage et de la course du moteur LC8c de 88 x 65.7 mm à 90.7 x 68.8 mm, KTM a gagné 90 cm3 de cylindrée, ce qui a permis au nouveau moteur d'augmenter considérablement ses performances en atteignant désormais 99 Nm de couple à 7.750 tr/min, soit 13 Nm de plus que la 790 Duke qui était jusqu'alors la référence de la catégorie et 121 chevaux à 9.250 tr/min, soit 17 de plus. A côté de cela, ils ont augmenté le régime maximal du moteur de 500 tr/min jusqu'à 10.500 tours tout en réduisant le poids à sec de la moto de 3,3 kg à 166 kg.
Cette perte de poids a été rendue possible en partie par l'adoption des étriers Brembo à la place des J.Juan. En dépit de l'augmentation du diamètre des deux disques avant de 300 à 320 mm, le nouveau package est plus léger de 1,18 kg, avant tout grâce à l'utilisation de supports en aluminium et à la nouvelle génération d'étriers monoblocs radiaux Stylema, qui sont à la fois beaux et plus légers. Pour la conformité avec Euro4 (voire Euro5) on retrouve un ABS Bosch à 2 canaux désactivable.
Un autre des nombreux paradoxes apparents de cette nouvelle moto c'est que la KTM est parvenue à perdre du poids tout en augmentant de 20% la masse en rotation du vilebrequin monobloc, ce qui le rend évidemment plus lourd. Il comporte désormais des pistons forgé actionnés par une bielle sophistiquée, offrant des pistons plus légers et une masse alternative réduite. Les manetons sont décalés de 75° avec des intervalles d'allumage de 435° pour reproduire le son granuleux typique des V-Twin autrichien. Ces cames plus lourdes ont pour objectif de donner plus de vitesse mais aussi une meilleure stabilité en courbe grâce à la fonction gyroscopique du moteur. Cela a également nécessité de revoir l'équilibrage du moteur. Le rapport volumétrique est ainsi passé de 12,7:1 à 13,5:1 pour aider à améliorer l'accélération. Les soupapes en aciers sont plus grosses de 1 mm, tout comme les doubles admissions de 37 mm et échappement de 30 mm et actionnées par de nouveaux arbres à cames au calage plus agressif.
Ces cames sont actionnées par la chaîne à droite des cylindres, tandis que le Quickshiter+ optionnel présent sur ma moto de test permet de passer les rapports sans débrayer sur la boîte six rapports, associé à un embrayage à glissement limité à bain d'huile qui est actionné par câble pour une maintenance faclité et un poids réduit. Comme sur la 790, les cylindres revêtus de Nikasil sont intégrés dans la moitié supérieur des carters en aluminium moulé sous pression. KTM a également considérablement raccourci le moteur en superposant les arbres de la boite verticalement et sous le mécanisme de changement de rapports, situé juste sous les corps papillon Dell'Orto de 42 mm inchangés et alimentés en air frais par une boîte à air située sous la selle et dont les entrées d'air sont situées de part et d'autre de vos hanches. Chaque cylindre est désormais cartographié séparément l'un de l'autre pour affiner l'arrivée de la puissance.
A 11.900 euros, la 890 Duke R offre beaucoup pour son prix. D'accord, on se trouve au sommet de ce segment des moyennes cylindrées, mais c'est également un bon rapport de prix face aux machines de 1.000 cm3 avec lesquelles elle rivalise en termes de performances.
Plus de puissance et de couple, mais avec un poids réduit (essentiellement non suspendu, ce qui a un effet bénéfique sur la fourche WP, désormais entièrement réglable) sonne comme le nirvana de la R&D pour motos. Après avoir eu l'honneur d'être choisi pour être la première personne extérieure à l'entreprise à piloter cette nouvelle moto dans sa version de pré-production, il m'a fallu environ 10 km sur les 180 parcourus ce jour-là en compagnie d'Adriaan Sinke sur une 1290 Super Duke R lors d'une visite guidée des montagnes du Salzkammergut près de chez KTM pour me rendre compte à quel point ce nouveau roadster KTM est spécial.
En selle
J'ai retrouvé sur la 890 les mêmes impressions que j'avais ressenties sur la 790 Duke : une moto petite, fine, courte et sportive, avec une position de conduite vers l'avant qui place presque votre menton au dessus du train directeur. On retrouve une moto réactive, à la fois pratique et amusante et surtout, qui reste simple à piloter et ce, aussi rapidement que vous le désirez. Bref, c'est une de ces motos avec laquelle on a l'impression de ne faire qu'un dès qu'on monte à bord. Ca permet d'apporter du fun dans la conduite de tous les jours, mais certainement pas autant que de s'échapper par les petites routes.
La géométrie de la 890 Duke R est assez agressive avec un angle de chasse de 24,3° et une chasse de 98 mm, offrant un empattement de 1.482 mm. Son agilité et sa réactivité en sont la récompense, couplée à une stabilité impériale dans les courbes rapides en troisième ou quatrième vitesse. On la sent collée sur l'asphalte et le large guidon en aluminium offre un grand effet de levier pour emmener la moto sur l'angle, encore plus lors des changements de direction d'un côté à l'autre que s'opèrent en toute simplicité. Intuitif, je vous dis... Ce guidon peut être ajusté presque à l'infini pour correspondre à votre position idéale ; en plus des 4 positions de serrage proposées par la conception du triple té supérieur, il est également possible de faire pivoter la barre selon trois angles différents. Grâce à la selle étroite à la base du réservoir, je pose facilement les deux pied au sol à l'arrêt du haut de mes 1m80.
Comme sur toutes les KTM, l'écran TFT couleur est le parfait exemple de la bonne manière de présenter des informations au pilote, avec le rapport engagé dans le coin supérieur gauche toujours visible d'un coup d'oeil, tandis que le défilement dans les menus se fait facilement par l'intermédiaire du commodo gauche. Comme sur les 125 et 390, le compteur KTM est un modèle de lisibilité dont les autres devraient s'inspirer.
Essai
Le résultat est un package encore plus intuitif à piloter que la déjà très rapide et accessible 790 Duke. Le moteur est encore plus un bijou que son prédécesseur, propulsant avec force dès les 2.000 tr/min la poignée tournée à mi-chemin, ou gaz grands ouverts en sixième dès les 4.000 tours sans à-coups de la transmission. Parce que la puissance continue de grimper tout au long de la plage de régime, on peut avoir tendance à flirter avec la zone rouge, désormais plus haute de 500 tours que la 790. En passant le rapport, le changement se fait avec douceur grâce à l'accélérateur Ride-By-Wire. Plus on roule fort, plus le moteur se montre paradoxalement lisse ; ces balanciers font vraiment bien leur travail et c'est une machine souple qui sillonne les virages de la campagne autrichienne avec une grande facilité. Mais grâce à cette dose de couple supplémentaire, on prend du plaisir à passer rapidement les vitesses pour surfer sur la courbe de couple en enchaînant une série de virolos entrecoupés de courtes lignes droites. Le shifter optionnel est très bien calibré et fonctionne parfaitement en montée comme en descente.
La clé de cette dose supplémentaire de performances sur la 890 Duke R n'est pas uniquement le fruit des modifications moteur que KTM a concocté pour rester devant ses rivaux, mais son poids plus léger qui, en plus d'améliorer l'accélération, rend également la moto bien plus fun à emmener sur les portions sinueuses. La KTM change quasiment de direction en mode pilote automatique. Sa maniabilité est si précise et intuitive qu'il semble qu'il ne faille que penser à tourner pour que la Duke le fasse à votre place. La garde au sol améliorée de 15 mm améliore également le comportement. Le bras-oscillant se retrouve plus en ligne avec la chaîne de transmission et la moto ne s'abaisse plus autant qu'avant à l'arrière sur les fortes accélérations. Cela signifie aussi que la position de conduite a été subtilement modifiée avec une hauteur de selle perchée 15 mm plus haut à 834 mm. Et avec un guidon plus plat, plus penché vers l'avant, ceci offre une position nettement plus sportive que sur la 790, d'autant plus les repose-pieds ont aussi été un peu reculés. Ce n'est toutefois pas plus fatigant qu'avant, juste plus sportif. Le tout donne à la fois une conduite plus physique mais aussi une conduite qui semble plus intuitive. Et même à des vitesses de 200 km/h lorsque le compteur indique 7.500 tr/min, on est moins gêné par cette posture un peu plus aérodynamique.
L'essai a commencé par le mode Street parmi les quatre propositions faites via l'accélérateur électronique RBW (Ride-By-Wire) avant de passer à la cartographie Sport, plus dynamique mais toujours contrôlable. On trouve aussi un mode Rain bridé à 100 chevaux avec une accélération plus souple et un mode Track optionnel pour les sorties sur circuit avec un assistant au départ, un contrôle de glisse MTC, une cartographie révisée et l'anti-wheeling désactivé... Mais j'ai fini par utiliser le mode Street sur la majeure partie de la journée car c'est le plus adapté à une conduite sur route ouverte, que ce soit dans le trafic au quotidien ou sur les routes sinueuses de montagne, en passant en Sport lorsque la route s'ouvre à l'horizon et que l'on peut être plus agressif sur l'accélérateur. Surfer sur la courbe de couple se montre agréable alors que l'on passe les rapports gaz en grand à 7.500 tr/min avec une copieuse accélération jusqu'à 160 km/h sur le dernier rapport ! Et l'écran TFT n'indique alors être à seulement 5.800 tr/min.
Ce format compact du moteur et le pilotage plus précis que l'on retrouve sur cette moto par rapport à la 790 la font ressentir à la fois comme un mono dans son maniement et comme un maxi-twin en termes de puissance et de couple. La 890 Duke R réunit presque le meilleur des deux mondes : légère et agile, réactive aux sollicitations du pilote, mais avec une puissance et un couple supplémentaire.
Partie cycle
L'attrait principal de la 890 concerne principalement son rapport poids/puissance et sa plus grande maniabilité par rapport à un V-Twin plus grand et pas seulement chez KTM d'ailleurs. Elle encourage à freiner plus tard et à accélérer plus fort. On est bien aidé par les nouveaux pneus Michelin Power Cup II montés sur la moto, plus légers que les autres montres du fabricant français, permettant là aussi de gagner en maniabilité grâce à une réduction du poids suspendu. Ces pneus se sont montrés impressionnants dans leur adhérence et j'ai également vérifié à plusieurs reprise à quelle vitesse ils se mettaient en température à cause du froid, ce qui était avant un point faible des gommes Michelin. Ce n'est plus le cas. Ceux-ci sont prêts à attaquer après le premier kilomètre de roulage, suite à un arrêt pour le déjeuner ou des photos. Beau boulot Michelin, c'est surement la récompense de l'implication en MotoGP.
De plus, le poids non suspendu réduit par ces pneus plus légers et par les freins Brembo permet à la suspension WP entièrement réglable spécialement développée pour la 890 de travailler avec plus d'efficacité, même sur une conduite agressive. La nouvelle Duke R s'est également très bien comportée sur l'asphalte abîmé par le gel. La qualité de conduite est globalement excellente sur cette machine.
Freinage
Les freins offrent un excellent mordant sans être brutaux et sont un peu la cerise sur le gâteau. Le seul endroit où Adriaan Sinke, qui roulait fort, a pu creuser l'écart avec sa 1290 Super Duke R était dans une longue côte de 2 km où les centimètres cubes et le punch supplémentaires du gros V-Twin se sont imposés. Mais partout ailleurs, la 890 Duke R était plus agile et maniable, surtout en arrivant dans les virolos serrés.
Conclusion
KTM a réussi à améliorer un modèle pourtant leader du marché en produisant un "Super Scalpel", bien plus avancé que le 790. Et malgré ses 11.900 euros qui peuvent paraître élevés, la KTM 890 Duke R reste dans la même tranche de prix que ses concurrentes directes, c'est à dire une Triumph Street Triple 765 RS au même tarif ou encore une Ducati Monster 821 à 11.490 €. Un peu plus abordable, on trouve la Yamaha MT-09 SP à 10.499 € tandis que sous la barre des 10.000 euros se trouvent les Kawasaki Z900 (9.499 €), Suzuki GSX-S 750 (8.899 €) et la BMW F900R (8.870 €) que l'on teste aussi ce mois-ci.
Jeremy McWilliams, qui a été l'un des pilotes impliqué depuis le début du projet et responsable de la cartographie finale de l'électronique Keihin, est d'accord. Alors que nous roulions l'un contre l'autre au Goodwood Revival il y a quelques semaines avant mon départ pour l'Autriche, il m'a confié sur la pré grille :
C'est presque tout ce que l'on peut rechercher sur une moto de route : elle est légère, fine, rapide et bien préparée. Nous avons mis beaucoup de temps pour obtenir les bons paramètres du moteur et je serai surpris que vous ne l'aimiez pas car, à mon avis, elle est une sérieuse concurrente à la 1290 Super Duke R et même une candidate à la moto de route la plus performante à utiliser sur route. Amusez-vous bien !
Vous savez quoi ? Il a raison... et je l'ai fait !
Points forts
Moteur
Agilité et maniabilité
Accord des suspensions
Freinage
Plaisir de conduite
Points faibles
Shifter+ et mode track en option
A vérifier sur le modèle de série