mil neuf cent soixante dix, certains d'entre vous n'étaient pas encore la, d'autre avaient déjà fait leurs armes, mais laissez moi vous compter mes premiers congés sur deux roues.
Je sortais de l'adolescence, et je partais pour mes premières vacances, seul et sur un territoire inconnu ;
Mais revenons quelques semaines avant la date fatidique du premier août.
Huit fois ! Huit fois que la canadienne avait été montée et démontée. Il ne fallait rien laisser au hasard. Tout de cette tente avait été contrôlée, la toile les fermetures et les piquets. Mais à chaque fois que je la montais, la magie du voyage commençait et je pense qu'elle fut plus usée par ces contrôles que pendant mes vacances.
La moto, Ma moto, une anglaise presque neuve, elle avait quatre mois. Elle aussi était préparée pour le grand voyage. Les câbles de frein, d'embrayage et de gaz étaient doublés, Il faut dire que les fils d'acier de cette époque avaient une fâcheuse tendance à se casser ou s'effilocher. Le bouchon du réservoir d'huile, qui avait l'habitude d'être un peut trop indépendant était relié par une petite chaînette empruntée à un système d'évacuation de déchets organiques, plus simplement la chasse d'eau des WC de la boite ou je bossais. Ce détournement d'utilisation créa un certain problème odorant dans les commodités de la dite société. Enfin et pour éviter la spécialité des anglaises de cette période, certains écrous et vis étaient percés et freinés par un petit fil en laiton.
Aux vues de tout ce qui pouvait partir tout seul de cette moto, je pensais et pense toujours que les aciers de construction étaient irlandais. Leur esprit d'indépendance étant vraiment trop prononcé.
Ha oui ! J'oubliais, le top du top, un petit système en ferraille de fabrication "maison" maintenu à la selle permettait de transporter le bidon de Castrol si cher aux possesseurs d'anglaises.
Le road book, enfin l'itinéraire, était tracé sur les cartes, non, il n'y a pas de faute, je dis bien les cartes, car si j'avais pus avoir des cartes aux 1/10 ou moins je les aurais prises. L'angoisse de se perdre avait un effet d'investissement indéniable dans la société Michelin. Cette peur était bien inutile, car à force de lire et relire le trajet, j'avais la possibilité de retracer de tête tout l'itinéraire avec les villes, le nom des routes, les virages représentés. Et même les plis et les taches de café de la carte.
Le chargement de l'engin fut un énorme problème. L'ensemble ressemblait à certains ânes d'Afrique du nord. Le pilote devait se contorsionner pour rentrer entre les deux excroissances, l'une sur le réservoir, l'autre sur la partie arrière de la selle et une fois coincé, le conducteur devait tendre les bras pour attraper les poignées. Des que l'ensemble roulait l'équilibre était satisfaisant, mais à l'arrêt il ne fallait absolument pas incliner l'engin sous peine de ressembler à une tortue que l'on aurait mis sur le dos ; Mais enfin, n'était-il pas normal d'être autant chargé, puisque je partais au bout du monde.
A trois heures sonnantes, non à trois heures simplement, car ne pouvant dormir à la veille du jour J, je n'avais donc pas à me faire réveiller par une sonnerie. Apres le café et quelques ablutions, je m'habillais et enfilais les bol d'or , le casque, un jet et non un Cromwell, il ne faut pas exagérer non plus, nous n'étions plus dans les années soixante, enfin les Stadium, le blouson, les gants et direction la Moto.
Le démarrage, "un grand moment".
Ouverture du robinet d'essence, "pour l'instant ca va".
Incrustation du pilote, "ne pas tomber"
Coupure de l'avance à l'allumage, "ne pas tomber".
Titillage du carburateur, "ne pas tomber"
Passer la compression," ne pas tomber".
Contact et sauter sur le kick, "pourvu qu'elle démarre et surtout ne pas tomber".
Braoum ! Ouf ! "Je n'étais pas tombé".
DIRECTION LA LIBERTE,
Cette liberté passait par la capitale. Paris ne représenta aucun problème, les périphériques, qui étaient fluides à cette époque, furent avalés sans difficultés. Nationale 13, quelques dizaines de kilomètres plus loin, un feu rouge orphelin me surpris, Je m'arrêtais. Sur la droite de la chaussée, un motard, accroupi contre sa moto était en pleine séance de mécanique.
"Salut, tu as des problèmes ?" Dis-je, le gars, un peut surpris, me répondit "Non, rien de grave elle est noyée". Et m'approchant, je le vis, il était en train de démonter le carbu de sa Jawa. Ses mains étaient aussi noires que ses pneus, mais comment pouvait-on faire pour se salir autant les mains en démontant un carburateur ? Le mystère resta entier, et même aujourd'hui je me pose encore la question.
Apres avoir fumé une cigarette, avec mon copain d'une nuit, une Française je crois, pas la nationalité, la marque, je repris pour mon périple.
Le jour se leva sur la campagne, et je crois que ce jour la, j'ai appris à aimer les aurores en moto. Rien n'est plus enivrant que ces odeurs de terre et de cultures sous les rayons d'un soleil naissant.
Même aujourd'hui, après quelques centaines de milliers de kilomètres, si je suis en moto et que le jour se lève, obligatoirement, je devis de mon chemin pour me retrouver sur une route de campagne, seule, visière ouverte, et sentir, je dis bien sentir l'aube, mais revenons à nos vacances.
Très beau, il faisait très beau et très chaud en ce premier jour de congés, même trop chaud du coté de la selle et plus particulièrement du coté de mon jean. Je mis ma main et regarda l'état de mon gant, il était très joli, ruisselant d'huile.
Il était de coutume de graisser les Barbour, mais les jeans, c'était nouveau. Mon beau système pour maintenir le bidon d'huile étaie-la ! . De toutes les façons il était indestructible, mais pas le bidon de Castrol. Il faut dire que 5mm d'acier français contre 5/10 d'acier british, le match était truqué, et le bidon déclara forfait après 200km, répandant son précieux liquide sur la partie arrière de mon anatomie.
Premier arrêt involontaire de l'équipage, nettoyage de la selle, de la machine et du pneu. Concernant le jean rien à faire, il fallait qu'il tienne jusqu'au bout du voyage et la aucunes inquiétudes pour tenir, il tenait même sans moi.
Rechargement de l'ensemble et redémarrage avec tout ce qui a été dit plus haut.
La campagne était belle du coté de Vitré ou Erné, je ne m'en souviens plus. Les oiseaux chantaient, les blés ondulaient sous la brise, le soleil brillait, les filles étaient belles et moi, et moi je ne faisais plus rien, la moto non plus, aïe ! Deuxième arrêt involontaire. Stoppé sur le bord de la route, en pleine campagne, je trouvais que les oiseaux chantaient beaucoup plus doucement, que les blés n'ondulaient presque plus, que le soleil brillait beaucoup moins et que les filles étaient peut être belle, mais ici elles brillaient par leur absence, maintenant que ma moto ne faisait plus rien au milieu des champs.
Ne pas paniquer, je me répétais ne pas piquer et aussi je suis un motard donc je ne paniquerais pas. La méthode Coué a du bon, en effet je ne paniquais pas, mais je ne pensais qu'a ne pas paniquer au lieu de faire quelque chose. Apres ces quelques minutes de profonde méditation, je me souvenais que dans mon bardât, il y avait de quoi démonter tous les engins roulants.
Eparpillage du bardât, et quand je dis éparpillage je suis modeste. En effet il fallait que je retrouve l'outillage disséminé un peut partout en fonction de leur forme et aussi que je trouve une gamelle pour mettre mon huile de boite.
Pourquoi une gamelle pour l'huile ? Ha oui je ne vous ai pas expliqué les symptômes de la panne. Ils étaient très simples, le moteur tournait bien, mais je n arrivais plus à passer les vitesses ou quand elles passaient le moteur calais.
Apres une rapide inspection extérieure de l'engin et avoir constaté que tout était en place sur la moto, j'entrepris le démontage de la boite. Vidange de cette dernière dans la gamelle réservée à mes futures conserves de cassoulet, et démontage du train de pignons. L'avantage des anciennes anglaise était d'avoir une boite séparée, et ainsi l'on pouvait la démonter sans toucher au moteur.
"Merde, merde et merde" je pensais ou dis-je, je ne m'en souviens plus et de toute façon les seules a m'entendre étaient les alouettes alors………une fourchette de sélection était dessoudée de son arbre.
Apres avoir méticuleusement positionné les pièces de sélection sur la toile de tente qui me servait d'établi. (Dans les années soixante dix on lubrifiait tout, Barbour, chaînes, bottes, jeans, tente, mains et même les clopes tenues par ces dernières ainsi que les chemisiers des copines), Je partis avec ma fourchette voir si un éventuel sauveur pouvait faire quelque chose.
Sur le chemin allant à la première ferme, je me suis mis à penser, que si un mec comme ca, dans cet état là, venait chez moi avec un morceau de ferraille à la main, je lui lâcherai les chiens et prendrai le fusil, ou au moins j'appellerai la maréchaussée.
Après avoir fait la sympathique connaissance d'un paysan breton, 1.80m, cote de travail, bottes de caoutchouc, casquette, et l'inévitable maïs, Il faut vous dire que malgré les apparences, ce cultivateur était d'une gentillesse absolue. Il me prêta une poste de soudure électrique et un seau d'eau pour refroidir la pièce. Il ne me dit pas grand chose avec son mégot au bec, mais sa gentillesse muette me fut bien plus sympathique et efficace que tous les babillages ou bla-bla du monde entier. Ayant remercié ce sauveur, qui ne me dit pas plus de parole qu'a mon arrivée, et avoir caressé le chien, qui ressemblait à son maître, la maïs en moins, je repartis dans ma campagne bretonne.
Je vous passe le remontage qui fut sans problèmes, et les essais de fonctionnement, qui malgré mes doutes, ne furent qu'une simple formalité. Je repris donc mon périple, dans cette campagne bretonne, là où les oiseaux chantaient, les blés ondulaient sous la brise, le soleil brillait, les filles étaient belles.
Arrivée au bout du monde, enfin presque, enfin si, enfin pour moi c'était le bout de la terre, le Morbihan. De toute façon plus à l'Ouest c'était le département du Finistère, la ou la terre se finie, c'est marqué dans le nom, donc j'étais presque à la fin de la terre, donc presque au bout du monde, ouf ! .
"Camping de Larmor Plage", formalités d'usage, peut être un peut plus d'usage que de coutume, aux vues de mon état, installation du camp de base, décapage du bonhomme et premier repas à la cantine, le restaurant "les mouettes".
Dix huit heures de route pour faire un peut plus de cinq cents bornes, à cette époque on roulait fort, et l'on ne tombait jamais en panne.
Une plage de sable de quelques centaines de mètres encadrée par deux amas rocheux, quelques dunes fixées par les herbes, et une bonne centaine de toiles de tente, bleues, vertes ou marrons. Voilà à quoi ressemblait le pompeux "Camping de Larmor Plage" ha non ! J'oubliais les sanitaires, cinq toilettes, deux douches en eau froide et trois bacs en béton, le tout surmonté d'un toit en tôle de Fibrociment. Certains appellent ca des commodités ! Parce que je vous garantis que ca n'avait rien de commode. Les toilettes étant orientées vers la mer, avec des portes de type "saloon", donc ouverte en haut et en bas, par temps de pluie le passage à la douche n'était pas nécessaire, du moins si vous aviez une envie pressante. De plus, le verrou avec sa plaque émaillée marquée "occupé" était bien inutile, on voyait très bien que les lieux étaient "occupé".
Ma cantine, se nommait "les mouettes" C'était un resto sur la grève avec une petite terrasse face à la mer. L'ensemble était vieillot, le bar avec son décor de bois était orné de quelques gros tourteaux secs et vernis, des dormeurs comme ils disent là-bas, de vieux filets de pêche et quelques flotteurs en verre. La salle pour les repas allait avec l'ensemble, quelques tables recouvertes de toile cirée, des chaises en bois et un parquet grinçant.
Et ca s'appelait "les mouettes".
Un nom absolument pas usurpé, les cris et surtout le bombardement par ces oiseaux de choses blanches et liquides vous faisait prononcer le nom du restaurant accompagné de qualificatifs tous aussi imagés, en rentrant ou sortant de cet estaminet.
Malgré ce décor à la Maigret, je n'ai jamais été autant heureux de rentrer dans un restaurant. Dans ce lieu j'étais chouchouté, dorloté par la serveuse et la patronne, était-ce mon âge ? Ou l'âge de ces femmes ? Au moins le double du mien, ou l'instinct maternel de ces dernières ? Ou mon "esprit" de découverte ? Je ne sais pas, mais une chose est certaine, j'y étais bien.
Pour ceux qui connaissent le coin le restaurant existe toujours, je le trouve beaucoup moins sympa, les serveuses, qui ne sont plus les mêmes, je vous rassure, sont nettement moins charmantes et dorlotantes.
Je n'étais pas le seul motard dans ce "camps de base", dans un coin à l'écart, au bout du terrain près de la route, un groupe de motards était installé. Dans le désordre trois tentes, quatre moto, quatre motards et des filles. A tout seigneur tout honneur, les moto. Une Triumph Bonneville bordeaux et crème, une Norton Atlas grise, une Matchless noire et une Guzzy de couleur blanche. Les motards, enfin les "biker's", car le "Jo Bar Team" à coté ressemblait plutôt à un patronage.
Des Cromwell, des vrais, de couleur grise, avec l'intérieur en liège et leurs oreillettes noires, des masques en cuir pour la pluie, des blousons hors d'âge et râpés de partout, des lunettes de moto, des jeans délavés, et surtout une quantité de tatouages plus ou moins réussis, les faisaient ressembler aux cavaliers de l'apocalypse.
Il n'y avait pas de japonaise, et encore moins de "4pattes". Je ne me souviens même plus si elle existait déjà, mais de toute façon il était formellement interdit de rouler avec ca ! Si vous vous disiez un pur. Cette moto, qui aujourd'hui fait référence, passait aux yeux des motards purs et durs, dont je voulais faire partie, comme une moto de minet, ainsi que toute la production du soleil levant.
A cette époque le monde motard était divisé en classe un peut comme aujourd'hui mais avec quelques variantes sur les marques.
Les purs, qui à l'inverse de l'eau, ne devait pas être, sans couleur, sans saveur, sans odeur, Donc en anglaise, plein de cambouis, un uniforme très stricte et sentant si possible l'huile et l'essence.
Les minets, en japs, avec les cheveux, les "pattes d'éph", l'intégral Bayard, le Bel étant le summum, la visière verrouillée par deux pressions, recouvrant une ouverture ovale qui limitait sérieusement le champ de vision.
Les rouleurs, en BM, mais les BM avec les clignotants aux bouts du guidon, obligatoirement noire, de toute façon vous aviez le choix chez BMW entre noire, noire ou noire, les sacoches en cuir et le freinage avant surprenant, qui faisait lever la moto.
Les inclassables en italienne, qui allait du rouleur ou plutôt routard barbu en Guzzy au sportif en Ducati, Aermachii ou Laverda.
Voilà succinctement le classement des motards des années 70.
Donc j'étais installé, dans ce camping inconnu, non loin d'un monde motard que je ne connaissais pas ou mal. Bien sur j'avais vu des motards chez moi, mais c'était des amis de la famille, bien sur j'avais lu toutes les revues moto de mon beau-frère, vous savez ces bouquins rouges avec un cercle central dans lequel était incrustée une photo en noir et blanc et "moto revue" écrit sur toute la partie haute, bien sur j'avais salué toutes les moto croisées sur la route. Bien sur que je disais à mes copains que je connaissais une quantité incroyable de motards, qu'ils me respectaient parce que je roulais super bien, mais maintenant je n'avais plus de copains, du moins pas encore, et là c'était moi qu'il fallait convaincre pour essayer de lier amitié avec ce groupe.
Tous les matins en partant de ce camping, avant d'écumer les routes du Morbihan, je passais devant leurs tentes. Elles étaient fermées et les moto bâchées. C'est à cette époque que j'ai appris que le mot "motard" rimait avec "lève tard", "couche tard", "fêtard", mais surtout "vantard"…………………………………
Ce matin là en partant visiter la cote en direction de kerfany les pins, arrivant à fort bloqué, un charmant petit village sur la mer, avec son petit fort construit sur trois ou quatre rochers, inaccessible à marrée haute, la solution pour faire connaissance, et sans passer pour un poireau, arriva à mon esprit iodé.
Je n’avais qu’à apprendre la route par cœur, et puis les inviter à faire une petite sortie. Dans mon esprit la petite sortie correspondait à les enrhumer, les atomiser, les enfumer un max, les faire passer pour des légumes à feuille longue que l’on récolte l’hiver. Il n’y avait que sept mois que la petite feuille à trois volets était dans ma poche, mais déjà j’avais la mentalité nécessaire à l’utilisation d’une moto. J’ETAIS UN MOTARD.
Un aparté concernant la définition d’un motard.
Ceci s’adresse aux non-motards ou aux futurs motards, pour les autres, regardez-vous !
Un motard doit être de mauvaise foi, c’est une obligation, menteur surtout concernant ses capacités à rouler, gueulard concernant tout ce qui se passe sur la route, sans oublier aussi d’être frimeur.
Donc toute la journée je m’entraînais sur cette route.
Fort bloqué : attention il y a du sable sur la route dans le virage en ville.
Cote sauvage : faire gaffe aux rafales de vent venants de la mer.
La laîta : les grandes courbes dans les bois à donf, mais attention aux jonctions du revêtement du pont.
Le port du Belon : attention aux tracteurs qui remontent les bateaux,
Et enfin kerfanie : faire gaffe aux baigneurs/bronzeurs dans les rues en pentes. Il faut vous dire que les freins de cette époque, ce n’était pas ca, et que les rues en pentes, du mauvais coté, les mettaient à l’agonie.
Apres cet entraînement de forcené, j’ai fais au moins quatre fois la route dans les deux sens, je rentrais dans mon terrier sans oublier de me restaurer au café "les mouettes ".
Jour J, huit heures et déjà en train de faire chauffer le café sur le réchaud à pastille d’alcool. Neuf heures trente, tout était en place et prêt pour l’affrontement du siècle. Dix heures la moto était bien chaude après le dixième passage devant la tente des adversaires, dix heures trente, " font chier ces motards à dormir ", disais-je, après le, je ne sais plus combien de passage devant leurs tentes. Dix heures quarante cinq, une tente s’ouvrit, et une fille en sortie, dix heures quarante six, elle me fit un signe. Aussitôt je descendis de la route par le chemin de terre et direction l’ennemi. "Salut ", " salut", "ca va", " ouais ! Et toi ", "oui oui ". Même à cette époque les conversations étaient aussi passionnantes que maintenant. "Tu vas ou ? " Me dit-elle. Zut ! Quand elle m’a vu, je rentrais ou je partais du camping ? faut être vicieuse pour poser une question comme ca. Enfin je me souvenais, "je partais faire un tour sur la route de la cote, vous venez avec moi"" je ne sais pas je vais demander aux autres, " dit-elle.
Les autres, ils étaient comme les bécanes de cette époque. Fallait bien les faire chauffer avant de leurs demander quoi que ce soit. Donc après le café sucré à l’aspirine, ils acceptèrent.
Onze heures dix, tout le monde sorti du camping et direction "THE WAR" le rappel des engins, une Triumph Bonneville 6.50, une Norton atlas, Matchless, une Velocette Truxton. La Guzzy devant absolument partir vers d’autres horizons, et il ne put venir avec nous.
Je menais le convoi, j’étais d’une fierté absolue, bien que j’aurais aussi souhaité suivre la Bonneville qui possédait une passagère à la plastique très agréable.
Apres fort bloqué le rythme augmenta, la route de la côte commençait à défiler relativement vite, elle était constituée de monté et obligatoirement de descentes ainsi que de grandes courbes bordées sur la gauche par une cote déchiquetée ou les vagues venaient se rompre et sur la droite une lande balayée par les vents. Je commençais, pour moi, à prendre beaucoup de vitesse, et l’invincible armada me suivait toujours. Arrivé vers la Laïta la promenade était devenue le GP-BZH, si bien que le port du Belon fut oublié et que directement nous nous trouvâmes à Kerfanie.
La petite bière sur le bord de la plage, une toute petite plage bordée par deux avancées rocheuses, ou ne se baignait, à cette époque, que les familles du coin. Les enfants jouant au sable et les grands-mères en blouse avec les chapeaux de paille surveillant les constructions des rejetons. Donc la petite bière nous fit du bien, et de plus s’entendre dire que je roulais bien me fit encore bien plus plaisir. Mais je pensais "attendez les gars, vous aller voir ce que vous allez voir au retour ".
Apres la deuxième bière, le retour fut envisagé, sans oublier de refaire une petite pause au port du Belon, voir si la boisson était toujours aussi bonne.
Cela devait faire la troisième ou quatrième Kro et dans ma tête, il commençait à se produire un mélange détonnant formé d’alcool, de fierté et de frime. Ce n’était pas exactement le mélange adéquat pour faire de la moto.
Le départ du Belon, devint la sortie des stands, les rues avec les tracteurs furent passées d’une manier plutôt virile. La reprise de la route principale, à une intersection, fut effectuée en grand, quand je dis en grand, c’est en grand, avec sortie sur les vibreurs bretons, (talus de fossé)
Le TT était lancé.
La descente sur La Laïta, en courbe fut avalé au toc, le genou à terre ? Non ! Faut pas exagérer non plus les pneus de l’époque ne le permettaient pas. Par contre, je n’ai rien compris, à ce que faisait l’Aronde Grand large au beau milieu de la route, en train de faire demi- tour.
Les commissaires de course devaient être encore à boire du chouchene !
Si moi je ne comprenais pas, le conducteur de la voiture non plus, il était accroché à son volant, les yeux exorbités, regardant arriver la "fin des mondes ".
Vous n’êtes pas sans savoir qu‘en Bretagne il y a de nombreux calvaires fleuris sur les bords de route. Vous ne pensiez, comme moi, qu’ils étaient là en dévotion pour Dieu, Jésus ou Marie. Et bien non, ils sont là pour Sainte Gamelle et j’en profite pour remercier les motards bretons qui doivent les fleurir toutes les semaines, car cette sainte fut d’une gentillesse absolue à mon égard. Elle réussit à me faire passer entre, l’ahurit en Aronde, un arbre au demeurant fort accueillant, un fossé bien rempli et tout en me faisant éviter une balustrade de pont. Apres ce passage absolument calculé, mais pas par moi, je regardais derrière. Je les avais largué ! A l’époque je pensais que ce largage était dut à mon attaque phénoménale, maintenant je pense plutôt qu’ils étaient beaucoup moins croyants que moi et que Ste Gamelle ayant fait son miracle journalier, n’était peut être pas disposée à en faire d’autres.
La route de la cote sauvage fut avalée tout aussi rapidement, j’avais le nez dans les compteurs et les yeux collés sur les rétro, essayez vous verrez c’est pas évident, pour voir s’ils me rattrapaient, si j’étais le meilleur. Les salauds ! Ils me suivaient, pas de prêt, mais à environ cinquante mètres, J’accélérais encore, ils me suivaient toujours à la même distance. Enfin le camping de Larmor plage, j’allais pouvoir arrêter de rouler au-dessus de mes moyens.
L’arrivée triomphale ne fut pas ratée. Voulant montrer ce que je savais faire, je réussissais mon freinage sur l’herbe. Blocage de la roue arrière, blocage de la roue avant, blocage des fesses et arrivée fantastique et direct dans la tante d’un des motards.
L’effet fit son effet. Apres le démêlage de ce qui m’appartenait et du reste, je cherchais vaguement une excuse. " L’herbe était mouillée, saloperies de freins qui n’arrêtent pas de se bloquer etc etc ".
La tente en pris un coup et mon amour propre aussi. Une photo se serait imposée, moi coincé dans cette foutue tente, les quatre autres stationnés à cote, sur leur trois moto, regardant Mike Hailwood se dépêtrer avec la canadienne, les ficelles, et les fringues. Ce jour là, j’ai appris qu’il y avait une grande différence d’adhérence entre l’herbe et l’asphalte.
Bien que ces motards furent très sympa, je pense qu’ils n’apprécièrent que très parcimonieusement mon arrivée. Apres avoir remis en état le campement, je fus invité à manger avec eux. Sur le moment je ne pris pas garde à cette invitation, mais elle me réservait le coup de grâce.
Les sardines en boite, ca allait, le premier Whisky aussi, mais l’Orangina avant le coup de rouge, lui il n’est pas passé. Je vous aurais bien raconté la fin du repas, mais j’ai du avoir un problème de sauvegarde de fichier.
Il faisait chaud, vraiment très chaud dans cette tente, et du coté de l’endroit ou l’on met le casque ca cognait fort. Midi, j’avais un trou de seize heures dans mon emploi du temps, première gamelle d’une longue série en moto, et la première cuite de ma vie de motard.
Il fallait que je retourne chercher ma moto qui, elle, n’avait pas eu le courage de rentrer comme moi. Enfin je dis le courage, alors que je ne sais même pas comment je suis rentré dans ma tente.
Il ne restait plus que ma bécane, les canadiennes et une fille que je ne connaissais pas. " Salut ", "salut ", "tu viens chercher ta moto ", "oui ", "on m’a raconté pour hier ". Ne voulant pas trop m’étendre sur mes exploits, je l’avais déjà fait la veille sur la tente, je répondis par un "oui " et enchaînais aussitôt par "tu as les clefs, il faut que je la ramène "
Cette aventure, qui fit faire un bon énorme à ma modestie, m’obligea un certain temps à éviter le secteur des canadiennes. Trois jours après, ils finissaient leurs vacances, et mon éducation de motard repris le dessus en faisant bien entendre aux autres campeurs que ma moto marchait toujours bien. Non mais !
Ce fut mes meilleures vacances en moto, je ne dis pas que se fut la meilleure année, car quelques mois plus tard, sur une route desserte, en automne, entre Villeron et Vemars, vers chez moi, mon meilleur copain se tua au guidon de sa T500, seul sans personne, sur une petite route de campagne au petit matin.